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JEU-

(Écrit à quatre mains)

 

Nous avons bavardé le temps d'un voyage.

Un train nous emportait. Chargé de feu, un silence nous happait. Nous n’avions pas la même destination. Pas encore. Nous ne le savons toujours pas d’ailleurs. Un destin était là. En maitre des ombres. Une trace invisible, voilée, secrète - Sous les pentes et les souterrains des cités fastes rôdent les ombres natives du chaos primitif. Elles caressent d’un frôlement électrique le vertige des existences perdues.

Nous avons croisé quelques mots - Incertains. Des sourires - Indécis.

Vous étiez embarrassée. Quelque chose vous gênait.

Vous avez souhaité vous éloigner, chercher un coin isolé. Difficile dans un train de trouver un endroit discret pour parler prudemment. Un refuge, un asile pour des individus en fuites – À visages découverts - Sans masques, comme des enfants, gracieux, pour qui la vertu est l’unique langage.

  • Je suis désolée, je suis gênée de parler en public.

  • Je comprends que vous soyez réservée.

  • Vous avez des choses à me dire ?

  • Vos yeux me disent.

Le silence persistait.

On ne se connaissait pas. Juste aperçu au conservatoire des semaines auparavant.

  •  J’écris des textes. Plutôt des poèmes. Si vous voulez, je vous propose un jeu !

  • Je ne sais pas trop quoi vous dire ! J'aime bien l'idée de jeu, du moment que les règles sont honnêtes et qu'on ne joue pas avec le feu....

  • Le feu peut être dangereux si l’on ne le maitrise pas. Nous sommes le feu, maitrisons les flammes. J’ai été cracheur de feu !

Le train roulait très vite - un vacarme excessif - carlingue vibrante - le wagon vacillait. Excès de froid ou de fusion comme si tout allait s’abimer.

Il n’y avait peut-être plus de conducteur ? Un évanouissement – le cœur qui s’arrête. Pourtant ces choses-là doivent-être prévues ? Le contrôle, la technique, la machine…

Tragédie – Tragédie des théâtres anciens – Ô poètes anciens, vos chants ont mis en lumière le noir ignorant des esprits innocents - Projetés des ombres dans des théâtres sublimes où des Dieux si humains jouaient l’angoisse et la peur, la vanité et l’orgueil et parfois si audacieux, héroïques, qu’ils devenaient immortels. Ô vieux poètes vous avez créé les Dieux à l’image des hommes. Masqués de l’indécence ou de la décence pour qui veut comprendre le sens, la règle du jeu…

  • Le jeu s’arrête ou continue suivant la réponse à la question posée : Etes-vous suffisamment adulte pour entendre les mots de bouches assoiffées, De poètes en excès ?

  • Je ne pense pas être suffisamment adulte, j'ai une âme d'enfant !

  • Très bien vous ne poursuivez pas. Le jeu s’arrête très vite avec vous !

  • Un enfant aime le jeu et se brûle au feu… Un enfant préfère lire de belles histoires car la noirceur du monde lui fait peur.

Et le silence reprit son discours comme quand le vent nous enseigne le monde par son souffle violent.                            

  • Vos yeux me disent, votre sourire me dit, vos gestes me disent, votre bouche me dit, votre silence me dit. Des désirs - Mes yeux traduisent, mon cœur traduit, mes mains traduisent, mon corps traduit, mes mots traduisent. Ses désirs.

  • Oui, mon silence vous dit mes désirs, mon absence vous dit ma présence, le poète traduit le non-dit. Je modifie les règles ou le jeu lui-même et vous pose une autre question : Le cracheur de feu peut-il éteindre le jeu ? L'incandescent nie l'incendie, étreint la flamme pour le feu et se consume par jeu. Qu'est-ce que la décence préconise ? Dire ou nier l'incendie ? - Se jeter à l'eau et se dire adieu !

  • Se jeter à l’eau pour éteindre la flamme ?

  • Oui se jeter à l'eau pour éteindre la flamme. N'est-ce pas le cracheur de feu qui propage l'incendie ? Sommes-nous Hommes, Poètes et Dieux à la fois ? Créatures de nous-mêmes ? Il faut stopper ce train.

Ange à tête de chien

 

Il est tôt ce matin, j’ai voyagé tout le jour et la nuit. La nuit est encore là. Les jours sont courts. Trop courts.

 

Il y a un an, ou presque, je ne sais plus exactement, quand les nuits étaient encore longues, j’ai rencontré un poisson… Un peu par hasard… Enfin, c’est le jour où un poisson a mordu à mon hameçon. Quelle belle prise, merveilleuse. C’était un poisson lune et les poissons lunes ne peuvent pas être le repas d’un pêcheur. Il en existe peu des poissons lunes…

Alors, je suis entré dans l’eau. Petit à petit je me suis rempli.

 

Les eaux sont capricieuses et fantasques, artistes de l’illusion. Leurs reflets nous séduisent et nos rêves sont dérobés.

 

Le poisson était une femme ! Une femme superbe. Audacieuse et lumineuse. Des cheveux bruns, longs et bouclés. Des bras très fins et un corps très fins également. Des hanches larges et voluptueuses. Des jambes élancées lui donnaient une élégante stature. Un visage d’enfant avec des yeux merveilleux, gris tintés de bleus. Au centre de ce visage, un nez majestueux présidait ce minois. Vision d’un oiseau solitaire et soucieux.

Elle ne portait qu’une grande étoffe posée simplement sur ses épaules, la recouvrant entièrement. Une femme superbe. Une reine égarée, noyée elle aussi mais il y a très longtemps. Depuis plusieurs siècles.

​

Elle m’a raconté qu’elle venait des terres du delta, du delta du Danube. D’une riche famille de pêcheurs qui commercait dans toute la région, la Dobrogea. Une région où l’eau triomphe sur la terre. Une rencontre d’eaux. Une nature féconde, abondante de toutes sortes de poissons et d’oiseaux migrateurs. La carpe et le gardon courtisant la sardine et le maquereau. Un rendez-vous au milieu des roseaux touffus et des saules tordus.

Son père possédait un comptoir sur le marché de la ville de Tulcéa. Le plus grand et le plus opulant. On y trouvait tous les poissons de la Dobrogea. La plupart des pêcheurs travaillait pour lui. C’était un bourgeois important, un notable influant. Il fit épouser sa fille unique à un neveu du Hospodar, le souverain de la région. Un homme laid et très autoritaire. Elle eut quatre enfants de ce mariage.

Lors des guerres contre l’empire ottoman, la population fut fortement violentée. Toute sa famille dût subir les pires souffrances et meurtres. Son mari mourut dans une bataille impitoyable où aucun valaque ne put en revenir. Ses enfants fûrent brulés vif. Elle, elle fût jetée vivante dans les eaux du Danude...

 

Je me suis laissé séduire par cette femme au fond des eaux. Elle m’avait attiré vers elle pour jouer avec moi. Elle voulait rompre sa solitude. Nous avons cherché l’amour mais cela fût impossible pour elle. Nous n’étions pas du même monde... Du même côté de la rivière. Une frontière nous séparait. Moi fils de domestiques. Ma famille a toujours été au service de la bourgeoisie. Elle, épouse d’un riche héritier des princes de Valachie possédant quatorze serviteurs et servantes dans une immense demeure sur les bords du Danube.

 

Elle s’est jouée de moi, elle m’a trompée, refusée. Je fût perdu, noyé dans ce fleuve.

​

Au fond des eaux, invité par les remous, ma peau s’est décousue. Une brème est venue vers moi. Un poisson eurasiatique vivant dans les eaux douces, lentes et profondes.

Une brème chrétienne. Gardienne du temple et de ses geôles. Sentinelle des séparations et des désunions. Magistrat du pouvoir châtiant la dissidence et la rébellion de l’Homme animal. De celui ou de celle qui cherche la lumière et la liberté. Il sera puni de ses errances et de sa chute ! L’ange solaire devenu antéchrist. 

La brème est venue vers moi. Elle m’a emmené au cœur, à l’intérieur des sédiments où depuis plus de mille ans résident des anges à tête de chien.

 

Au fond des eaux, au-delà des eaux, des sédiments, des couches rocheuses et des terres brulantes sont accueillies les âmes trompées, devenues ombres déchues, avilies par l’amour glorieux et ses voluptés. Mises au ban, refusées, proscrites.

Dans les forges d’Héphaïstos est mis en fusion l’airain. De cet alliage de cuivre à la réputation sévère est forgée une lame. Une lame d’airain servant à émasculer les hommes descendus au centre de la terre.

Leurs têtes sont tranchées et remplacées par celle d’un chien. D’un chien de Canaan. Un chien paria, primitif. Un chien semi-sauvage mais souvent dressé pour les sauvetages sous terre. Revenus à leur nature de chien paria, ils errent dans les cavités terrestres en suivant les veines de la terre.

Des femmes sans âmes, asservies aux geôles de la brème. Des femmes de guerres, acerbes et cruelles, parcourent les dédales de la terre et capturent ces chiens de Canaan. Elles chassent également les sirènes de Sélène, créatures mi femmes mi oiseaux, filles du fleuve et d’une nymphe. Elles les assassinent pour arracher leurs plumes. Ces plumes seront cousues dans la chaire des hommes refusés à l’amour, à la passion pour une amante désirée, une rose imaginaire, une sœur moléculaire.

 

Ces hommes devenus anges à tête de chien erreront ainsi au fond des eaux à la recherche d’une fleur simple, semblable à leurs images, vide pour qu’ils puissent s’y remplir et revenir à la surface, au bord du fleuve et du monde.

Ange à tête de chien

 

Il est tôt ce matin, j’ai voyagé tout le jour et la nuit. La nuit est encore là. Les jours sont courts. Trop courts.

 

Il y a un an, ou presque, je ne sais plus exactement, quand les nuits étaient encore longues, j’ai rencontré un poisson… Un peu par hasard… Enfin, c’est le jour où un poisson a mordu à mon hameçon. Quelle belle prise, merveilleuse. C’était un poisson lune et les poissons lunes ne peuvent pas être le repas d’un pêcheur. Il en existe peu des poissons lunes…

Alors, je suis entré dans l’eau. Petit à petit je me suis rempli.

 

Les eaux sont capricieuses et fantasques, artistes de l’illusion. Leurs reflets nous séduisent et nos rêves sont dérobés.

 

Le poisson était une femme ! Une femme superbe. Audacieuse et lumineuse. Des cheveux bruns, longs et bouclés. Des bras très fins et un corps très fins également. Des hanches larges et voluptueuses. Des jambes élancées lui donnaient une élégante stature. Un visage d’enfant avec des yeux merveilleux, gris tintés de bleus. Au centre de ce visage, un nez majestueux présidait ce minois. Vision d’un oiseau solitaire et soucieux.

Elle ne portait qu’une grande étoffe posée simplement sur ses épaules, la recouvrant entièrement. Une femme superbe. Une reine égarée, noyée elle aussi mais il y a très longtemps. Depuis plusieurs siècles.

​

Elle m’a raconté qu’elle venait des terres du delta, du delta du Danube. D’une riche famille de pêcheurs qui commercait dans toute la région, la Dobrogea. Une région où l’eau triomphe sur la terre. Une rencontre d’eaux. Une nature féconde, abondante de toutes sortes de poissons et d’oiseaux migrateurs. La carpe et le gardon courtisant la sardine et le maquereau. Un rendez-vous au milieu des roseaux touffus et des saules tordus.

Son père possédait un comptoir sur le marché de la ville de Tulcéa. Le plus grand et le plus opulant. On y trouvait tous les poissons de la Dobrogea. La plupart des pêcheurs travaillait pour lui. C’était un bourgeois important, un notable influant. Il fit épouser sa fille unique à un neveu du Hospodar, le souverain de la région. Un homme laid et très autoritaire. Elle eut quatre enfants de ce mariage.

Lors des guerres contre l’empire ottoman, la population fut fortement violentée. Toute sa famille dût subir les pires souffrances et meurtres. Son mari mourut dans une bataille impitoyable où aucun valaque ne put en revenir. Ses enfants fûrent brulés vif. Elle, elle fût jetée vivante dans les eaux du Danude...

 

Je me suis laissé séduire par cette femme au fond des eaux. Elle m’avait attiré vers elle pour jouer avec moi. Elle voulait rompre sa solitude. Nous avons cherché l’amour mais cela fût impossible pour elle. Nous n’étions pas du même monde... Du même côté de la rivière. Une frontière nous séparait. Moi fils de domestiques. Ma famille a toujours été au service de la bourgeoisie. Elle, épouse d’un riche héritier des princes de Valachie possédant quatorze serviteurs et servantes dans une immense demeure sur les bords du Danube.

 

Elle s’est jouée de moi, elle m’a trompée, refusée. Je fût perdu, noyé dans ce fleuve.

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Au fond des eaux, invité par les remous, ma peau s’est décousue. Une brème est venue vers moi. Un poisson eurasiatique vivant dans les eaux douces, lentes et profondes.

Une brème chrétienne. Gardienne du temple et de ses geôles. Sentinelle des séparations et des désunions. Magistrat du pouvoir châtiant la dissidence et la rébellion de l’Homme animal. De celui ou de celle qui cherche la lumière et la liberté. Il sera puni de ses errances et de sa chute ! L’ange solaire devenu antéchrist. 

La brème est venue vers moi. Elle m’a emmené au cœur, à l’intérieur des sédiments où depuis plus de mille ans résident des anges à tête de chien.

 

Au fond des eaux, au-delà des eaux, des sédiments, des couches rocheuses et des terres brulantes sont accueillies les âmes trompées, devenues ombres déchues, avilies par l’amour glorieux et ses voluptés. Mises au ban, refusées, proscrites.

Dans les forges d’Héphaïstos est mis en fusion l’airain. De cet alliage de cuivre à la réputation sévère est forgée une lame. Une lame d’airain servant à émasculer les hommes descendus au centre de la terre.

Leurs têtes sont tranchées et remplacées par celle d’un chien. D’un chien de Canaan. Un chien paria, primitif. Un chien semi-sauvage mais souvent dressé pour les sauvetages sous terre. Revenus à leur nature de chien paria, ils errent dans les cavités terrestres en suivant les veines de la terre.

Des femmes sans âmes, asservies aux geôles de la brème. Des femmes de guerres, acerbes et cruelles, parcourent les dédales de la terre et capturent ces chiens de Canaan. Elles chassent également les sirènes de Sélène, créatures mi femmes mi oiseaux, filles du fleuve et d’une nymphe. Elles les assassinent pour arracher leurs plumes. Ces plumes seront cousues dans la chaire des hommes refusés à l’amour, à la passion pour une amante désirée, une rose imaginaire, une sœur moléculaire.

 

Ces hommes devenus anges à tête de chien erreront ainsi au fond des eaux à la recherche d’une fleur simple, semblable à leurs images, vide pour qu’ils puissent s’y remplir et revenir à la surface, au bord du fleuve et du monde.

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